Sep 10 2020

Qu’est-ce que la réalité ?

Tout ce que vous considérez comme bon ou mauvais, le monde des sens dans sa totalité, est votre invention mentale. C’est votre esprit qui le créé.

 

Par Lama Thubten Yeshe

Laissez-moi vous poser une question. Qu’est-ce que la réalité ? Est-ce que la réalité est votre vision du chocolat convoité ? Lorsque vous avez des problèmes, lorsque vous êtes en conflit, que vous voyez des gens malheureux, est-ce la réalité ou pas ? Je vais vous le dire : tout ce que vous considérez comme bon ou mauvais, le monde des sens dans sa totalité, est votre invention mentale. C’est votre esprit qui le créé. Rien de ce qui existe dans ce monde n’est absolument ou automatiquement bon ou mauvais. C’est impossible !

Chandrakirti, le célèbre saint indien du mahayana qui commenta la philosophie du Madhyamika de Nagarjuna, donne l’exemple suivant : Imaginez une tasse d’eau et trois êtres différents en train de la regarder. L’un est un être humain, le second est un dieu samsarique et le troisième un préta, un esprit avide. Bien qu’ils contemplent le même objet, la même tasse d’eau, chacun la perçoit de manière totalement différente. L’être humain la voit comme une tasse d’eau, le dieu voit du nectar de félicité, de l’amrita, l’esprit avide ne voit que du sang ou du pus. Qu’elle est la réalité ? Qui possède la perception juste ?

Voici un autre exemple : chaque homme choisit la femme qu’il aime suivant ses propres critères. Et suivant leur propre vision du bien et du mal, les femmes font leur choix parmi les hommes. Si vous y réfléchissez, comment pouvez-vous faire paraître une personne belle ou laide ? C’est une fabrication totale de l’esprit. Vérifiez. Le fait que vous aimiez ou non quelqu’un ne vient pas du fait qu’il soit bon ou mauvais par nature, mais du fait que vous ayez une idée arrêtée, un à priori concernant ce qu’il doit être. Vous réagissez automatiquement : bon ou mauvais.

C’est une autre manière de dire que vous n’êtes pas libéré. Les conflits qui vous opposent à autrui sont produits par votre idée fixe et fanatique à propos du bon et du mauvais. Vous ne possédez pas une compréhension universelle ; votre vision fanatique empêche la croissance de votre sagesse universelle et de votre compassion, l’essence de Chenrézig.

La réponse de Lama Tsong Khapa au débat de Chandrakirti est que dans la tasse d’eau existent en même temps la réalité de l’eau, la réalité de l’énergie de béatitude et la réalité du sang ; comment ? L’énergie karmique puissante, l’empreinte, qui est latente en chacun est réveillée par la cause coopérante, la vision de la tasse d’eau, et la combinaison des deux produit la réalité de l’eau, de l’amrita ou du sang. Discutez-en ensemble, et petit à petit, je pense que vous comprendrez.

En d’autres termes, ces trois perceptions sont correctes. Dans cet objet, la tasse d’eau, se trouvent l’énergie de l’eau, l’énergie de l’amrita, l’énergie du sang. C’est la même chose lorsqu’une femme regarde un homme et qu’elle le trouve charmant et qu’une autre le trouve laid. Et si une centaine de femmes le regardait, on aurait une centaine de points de vue différents. Néanmoins, il existe dans cet homme l’énergie correspondante à ce que chacune voit, tout comme pour l’eau.

Un autre grand saint du Mahayana, Shantidéva, a commenté les enseignements de la Prajnaparamita du Bouddha, les Enseignements sur la sagesse de la vacuité, afin qu’ils puissent être mieux compris. Il a expliqué, par exemple, comment, dans les royaumes infernaux, un être sensible peut se retrouver à brûler dans une maison de fer en fusion entourée de feux ardents. Cet être pourrait se demander : « d’où tout cela vient-il ? » Shantidéva explique que cela ne vient de rien d’autre que de l’esprit même de cet être. Ce n’est pas comme si quelqu’un se trouvant dans un endroit appelé « enfer », avait construit cette maison de fer, allumé ces feux ardents et pensait : « Ah ! J’attends Thoubten Yéshé. Il va bientôt mourir et venir ici. Je l’attends de pied ferme ! » Ce n’est pas comme ça. Il n’existe rien de la sorte.

En réalité, au moment de la mort, l’énergie puissante des actions négatives de l’être, -existant en tant qu’empreintes sur l’esprit-, est réveillée, activée, et crée cette expérience de souffrance intense que nous appelons enfer. L’enfer n’existe pas de son propre côté ; l’esprit négatif le fabrique. Shantidéva en donne l’explication en se référant aux soutras du Bouddha qui traitent de ce sujet. C’est très intéressant. Et c’est également très important, donc vous devriez chercher et y réfléchir.

Lorsque vous avez une approche du Lam-Rim purement intellectuelle, vous pouvez penser que l’enfer est réel, existant de son propre côté, que c’est une chose qui existe réellement, qui a été construite. Puis surgit la pensée : « Oh ! C’est impossible ! » Alors vous doutez. Par contre l’explication de Shantidéva à propos de l’enfer, du brasier etc., est facilement compréhensible pour les Occidentaux. Votre vision douloureuse de la réalité est fabriquée par votre propre esprit, votre propre immoralité ; et votre vision heureuse de la réalité est le fruit de votre propre esprit, de votre propre vertu.

Si vous souhaitez considérer de plus près la réalité, vous pouvez comparer les expériences mentales que vous faites lorsque vous rêvez et celle que vous faites lorsque vous êtes éveillé. Quelle est la différence ? Réfléchissez vraiment. Vous pensez toujours concrètement que ces expériences sont différentes : mes rêves ne sont pas réels, mais ma vie quotidienne est véritablement réelle.

La question est : qu’est-ce que la réalité ? C’est tout. Dans tous les enseignements du Bouddha, chaque fois qu’il souligne un point important, il dit que l’esprit est le producteur principal de la réalité. La bonté humaine vient de l’esprit. Les problèmes humains, la méchanceté humaine, viennent de l’esprit. La faim des prétas, les visions horribles de brasier des êtres infernaux -tout cela vient de l’esprit. Bien sûr, le bien et le mal existent vraiment, mais seulement de façon relative. Ils n’existent que sur le plan relatif, et non pas ultimement. Comme dit précédemment, l’énergie mentale et les différentes causes coopérantes s’associent et se transforment en notre propre vision de la réalité.

Voici une autre manière de voir : Combien de phénomènes universels sont-ils la réalité pour nous ? Vérifiez. En fait, pour nous, tous les phénomènes existant ne sont pas la réalité, n’est-ce pas ? Notre esprit est limité, donc ce que nous percevons de la réalité est limité, bien que les phénomènes universels soient illimités. Comprenez-vous ? L’énergie avec laquelle votre conscience n’est jamais entrée en contact, n’est pas la réalité pour vous, mais c’est la réalité pour d’autres. De nouveau la question posée est : qu’est-ce que la réalité ? Ceci est une autre approche.

Il est important de découvrir ce qu’est la réalité pour votre propre esprit, de votre point de vue personnel. Considérez cette table par exemple. Vous affirmez : « Je vois que cette table existe. » Mais en fait, cette table n’existait pas pour vous jusqu’à ce que vous vous trouviez près d’elle et que vous la regardiez. Lorsque vous regardez, infailliblement une énergie mentale est envoyée dans l’atmosphère, puis vous dites, « Je vois une table, cette table. C’est ceci et ceci et cela. » Bien que votre esprit dualiste perçoive la table comme extérieure à vous, en fait c’est une partie de la nature de votre esprit ; la table et votre conscience sont unies.

De la même façon, c’est votre énergie mentale qui fait apparaître les choses comme bonnes ou mauvaises. Tout ce que nous percevons est fabriqué mentalement ; rien n’existe extérieurement, fixe d’une manière ou d’une autre.

Extrait du Mandala, le magazine internationl du FPMT (juillet-aout 99)

Traduction Sam Regad

Lama Thubten Yeshe

http://www.buddhaline.net