Août 26 2013

« Pour s’amuser, il faut être des enfants… » -Éric Baret

Pour s'amuser, il faut être des enfants,

Entretien et dialogues avec Éric Baret par Jean Bouchard d’Orval – Paris, le 14 mai 1998

Pour moi, une rencontre c’est uniquement pour s’amuser, parce qu’il n’y a rien d’autre que l’amusement. Pour s’amuser, il faut être des enfants, c’est-à-dire être libre de l’histoire, de la prétention à savoir quelque chose, à être quelque chose, ou à devenir quelque chose. Je n’ai aucune réponse ; je ne suis pas une bibliothèque, j’ai très peu lu. La manière de jouer pourrait être d’écouter en soi-même et si un sentiment, une émotion, une pensée surgissent et si on sent le goût de l’exprimer, on peut le faire. Je fais la même chose. Si à ce moment-là quelque chose surgit dans l’écoute, ce quelque chose sera exprimé. Ce n’est pas pour répondre à une question, ce n’est pas pour éclairer une question, c’est uniquement parce que la nature des choses est mouvement, sonorité. Mais pour jouer, il faut être libre de tout savoir ; sinon on ne joue pas, on travaille. C’est trop tard pour travailler.

Mais si on ne sait pas jouer, peut-être qu’apprendre à jouer est un travail…

On sait tous jouer. On sait tous jouer, parce qu’il n’y a que ça. Vous ne croyez pas à vos histoires, vous ne croyez pas à votre passé, vous ne croyez pas à votre futur. Quand vous êtes vraiment à l’écoute, vous ne pouvez pas croire vos parents, qui vous ont dit que vous étiez né à telle date, la société qui vous dit que vous allez mourir dans les quarante années qui viennent, votre compte en banque. Si vous écoutez, vous ne pouvez pas croire à ces choses. On peut prétendre croire. On peut prétendre se prendre pour son compte en banque, pour sa vitalité, pour son intelligence, pour sa force. Mais profondément, on ne croit pas à ça. C’est pour cela que tous les soirs, vous abandonnez toutes ces prétentions et vous vous laissez glisser dans le sommeil profond. C’est vraiment la profonde jouissance de la journée. Si vous y croyiez vraiment, vous ne pourriez pas dormir, vous ne pourriez pas mourir chaque soir. Mais souvent, l’histoire d’être quelque chose surgit et c’est merveilleux que ça soit comme ça : elle surgit parce qu’on en a besoin. Quand vous avez peur, quand vous désirez, c’est votre porte sur la liberté, c’est votre porte sur le rien-être. Mais généralement, par mauvaise habitude, je dirais, on repousse ces portes et on se dit :  » Je dois me libérer de la peur, je dois me libérer de l’inquiétude. Je dois devenir libre, un sage. Je dois devenir, demain…  »

Ça c’est la grande misère, de vouloir devenir, de vouloir être libre demain, quand je n’aurai plus de peur, quand je ne serai plus comme ceci, comme cela. Ça c’est la souffrance. Mais même cette prétention, vous la quittez également, tous le soirs. À un moment donné, on découvre le mécanisme en soi. C’est très clair : dès que vous prétendez, vous souffrez ! Quand vous ne prétendez rien, il y a une tranquillité. La tranquillité est toujours maintenant, elle ne dépend de rien. Vous n’avez pas besoin de devenir, d’apprendre, d’étudier, de vous purifier : vous avez besoin d’arrêter de prétendre d’être quoi que ce soit. C’est ce que fait un enfant ! L’objet se présente, l’enfant est là. L’objet le quitte, il est sur l’autre objet. À un moment donné, on voit combien l’ajournement est ce qui fait souffrir. Vouloir être libre demain, ça c’est la souffrance. Vouloir se calmer, se transformer. On peut faire du yoga, on peut aller en Inde, en Chine, devenir bouddhiste, devenir… c’est difficile de dormir, tant qu’on veut devenir. Mais tôt ou tard, vous pressentez qu’il n’y a rien à devenir. Quelque chose, ou plutôt rien ne se passe. C’est le devenir qui se passe.

Donc on en peut pas chercher à être comme un enfant : ça c’est une attitude d’adulte ! Vouloir comprendre un enfant… il n’y a rien à comprendre ! Il y a uniquement l’écoute, sans avoir la prétention d’être autre chose que ce qu’on entend. Vous écoutez. Votre voisin écrase la tête de sa femme contre votre mur, vous écoutez le bruit de la tête qui se brise, vous écoutez votre réaction, votre indignation – vous trouvez ça très violent – et vous auriez envie de lui écraser la tête contre le mur, parce que la violence c’est inadmissible. Vous vous rendez compte que vous êtes aussi violent que lui et que c’est pour cela que vous ne supportez pas sa violence. Il suffit d’écouter, comme un enfant. C’est gratuit, vous n’avez pas à aller à des séminaires pour l’apprendre. Aucun livre ne peut vous l’apprendre : c’est le voisin, quand il écrase la tête de sa femme, qui vous l’apprend, parce que c’est votre réalité dans le moment. C’est ce que vous devez écouter, parce que c’est cela qui se passe.

Quand il y a l’anxiété, c’est ça l’objet de méditation. Quand il y a la jalousie, c’est ça l’ishta devata, l’objet de méditation. Vous n’avez pas besoin d’aller en Inde pour cela, c’est toujours avec vous. C’est gratuit. Mais il faut avoir cette attitude d’enfant, d’être libre de but, parce que ça ne vous rapporte rien : vous ne devenez pas libre, vous ne devenez pas sage, vous devenez rien. Il y a uniquement la tranquillité. C’est pas la vôtre, elle n’est pas dans votre poche. Jouer c’est dans l’instant. Demain, la peur surgit de nouveau : vous dites merci, parce que c’est vous-même. Il n’y a que vous-même. Cette peur est de nouveau votre écoute, votre vérité, d’instant en instant. On ne peut pas être libre pour toujours, parce qu’il n’y a que l’instant. On ne peut pas être libre demain, parce qu’il n’y a que l’instant. Et c’est un jeu sans participant. Il n’y a que le jeu, personne ne joue.

Je n’ai pas de question, mais je voudrais juste vivre plus intensément. Quand vous avez commencé à parler, j’ai senti une tranquillité qui s’installait. Mais vous avez parlé de l’enfance et de l’intuition de l’enfant à plusieurs reprises. Plus ça va et moins je me sens bien quand je vous entends dire ça, parce que l’intuition de l’enfant je ne l’ai pas connue. Je l’ai connue de façon très furtive et c’est maintenant que je la découvre. Parler de l’enfant, pour moi c’est difficile. J’ai l’impression de faire le chemin inverse, de ne pas avoir connu d’enfance insouciante et de découvrir ce qui est inhérent à l’enfant maintenant. Ça me met très mal. Plus je vous entends et plus je sens la colère, parce que les choses ne sont pas arrivées au moment où il le fallait. Lire la suite