« Pour s’amuser, il faut être des enfants… » -Éric Baret

Pour s'amuser, il faut être des enfants,

Entretien et dialogues avec Éric Baret par Jean Bouchard d’Orval – Paris, le 14 mai 1998

Pour moi, une rencontre c’est uniquement pour s’amuser, parce qu’il n’y a rien d’autre que l’amusement. Pour s’amuser, il faut être des enfants, c’est-à-dire être libre de l’histoire, de la prétention à savoir quelque chose, à être quelque chose, ou à devenir quelque chose. Je n’ai aucune réponse ; je ne suis pas une bibliothèque, j’ai très peu lu. La manière de jouer pourrait être d’écouter en soi-même et si un sentiment, une émotion, une pensée surgissent et si on sent le goût de l’exprimer, on peut le faire. Je fais la même chose. Si à ce moment-là quelque chose surgit dans l’écoute, ce quelque chose sera exprimé. Ce n’est pas pour répondre à une question, ce n’est pas pour éclairer une question, c’est uniquement parce que la nature des choses est mouvement, sonorité. Mais pour jouer, il faut être libre de tout savoir ; sinon on ne joue pas, on travaille. C’est trop tard pour travailler.

Mais si on ne sait pas jouer, peut-être qu’apprendre à jouer est un travail…

On sait tous jouer. On sait tous jouer, parce qu’il n’y a que ça. Vous ne croyez pas à vos histoires, vous ne croyez pas à votre passé, vous ne croyez pas à votre futur. Quand vous êtes vraiment à l’écoute, vous ne pouvez pas croire vos parents, qui vous ont dit que vous étiez né à telle date, la société qui vous dit que vous allez mourir dans les quarante années qui viennent, votre compte en banque. Si vous écoutez, vous ne pouvez pas croire à ces choses. On peut prétendre croire. On peut prétendre se prendre pour son compte en banque, pour sa vitalité, pour son intelligence, pour sa force. Mais profondément, on ne croit pas à ça. C’est pour cela que tous les soirs, vous abandonnez toutes ces prétentions et vous vous laissez glisser dans le sommeil profond. C’est vraiment la profonde jouissance de la journée. Si vous y croyiez vraiment, vous ne pourriez pas dormir, vous ne pourriez pas mourir chaque soir. Mais souvent, l’histoire d’être quelque chose surgit et c’est merveilleux que ça soit comme ça : elle surgit parce qu’on en a besoin. Quand vous avez peur, quand vous désirez, c’est votre porte sur la liberté, c’est votre porte sur le rien-être. Mais généralement, par mauvaise habitude, je dirais, on repousse ces portes et on se dit :  » Je dois me libérer de la peur, je dois me libérer de l’inquiétude. Je dois devenir libre, un sage. Je dois devenir, demain…  »

Ça c’est la grande misère, de vouloir devenir, de vouloir être libre demain, quand je n’aurai plus de peur, quand je ne serai plus comme ceci, comme cela. Ça c’est la souffrance. Mais même cette prétention, vous la quittez également, tous le soirs. À un moment donné, on découvre le mécanisme en soi. C’est très clair : dès que vous prétendez, vous souffrez ! Quand vous ne prétendez rien, il y a une tranquillité. La tranquillité est toujours maintenant, elle ne dépend de rien. Vous n’avez pas besoin de devenir, d’apprendre, d’étudier, de vous purifier : vous avez besoin d’arrêter de prétendre d’être quoi que ce soit. C’est ce que fait un enfant ! L’objet se présente, l’enfant est là. L’objet le quitte, il est sur l’autre objet. À un moment donné, on voit combien l’ajournement est ce qui fait souffrir. Vouloir être libre demain, ça c’est la souffrance. Vouloir se calmer, se transformer. On peut faire du yoga, on peut aller en Inde, en Chine, devenir bouddhiste, devenir… c’est difficile de dormir, tant qu’on veut devenir. Mais tôt ou tard, vous pressentez qu’il n’y a rien à devenir. Quelque chose, ou plutôt rien ne se passe. C’est le devenir qui se passe.

Donc on en peut pas chercher à être comme un enfant : ça c’est une attitude d’adulte ! Vouloir comprendre un enfant… il n’y a rien à comprendre ! Il y a uniquement l’écoute, sans avoir la prétention d’être autre chose que ce qu’on entend. Vous écoutez. Votre voisin écrase la tête de sa femme contre votre mur, vous écoutez le bruit de la tête qui se brise, vous écoutez votre réaction, votre indignation – vous trouvez ça très violent – et vous auriez envie de lui écraser la tête contre le mur, parce que la violence c’est inadmissible. Vous vous rendez compte que vous êtes aussi violent que lui et que c’est pour cela que vous ne supportez pas sa violence. Il suffit d’écouter, comme un enfant. C’est gratuit, vous n’avez pas à aller à des séminaires pour l’apprendre. Aucun livre ne peut vous l’apprendre : c’est le voisin, quand il écrase la tête de sa femme, qui vous l’apprend, parce que c’est votre réalité dans le moment. C’est ce que vous devez écouter, parce que c’est cela qui se passe.

Quand il y a l’anxiété, c’est ça l’objet de méditation. Quand il y a la jalousie, c’est ça l’ishta devata, l’objet de méditation. Vous n’avez pas besoin d’aller en Inde pour cela, c’est toujours avec vous. C’est gratuit. Mais il faut avoir cette attitude d’enfant, d’être libre de but, parce que ça ne vous rapporte rien : vous ne devenez pas libre, vous ne devenez pas sage, vous devenez rien. Il y a uniquement la tranquillité. C’est pas la vôtre, elle n’est pas dans votre poche. Jouer c’est dans l’instant. Demain, la peur surgit de nouveau : vous dites merci, parce que c’est vous-même. Il n’y a que vous-même. Cette peur est de nouveau votre écoute, votre vérité, d’instant en instant. On ne peut pas être libre pour toujours, parce qu’il n’y a que l’instant. On ne peut pas être libre demain, parce qu’il n’y a que l’instant. Et c’est un jeu sans participant. Il n’y a que le jeu, personne ne joue.

Je n’ai pas de question, mais je voudrais juste vivre plus intensément. Quand vous avez commencé à parler, j’ai senti une tranquillité qui s’installait. Mais vous avez parlé de l’enfance et de l’intuition de l’enfant à plusieurs reprises. Plus ça va et moins je me sens bien quand je vous entends dire ça, parce que l’intuition de l’enfant je ne l’ai pas connue. Je l’ai connue de façon très furtive et c’est maintenant que je la découvre. Parler de l’enfant, pour moi c’est difficile. J’ai l’impression de faire le chemin inverse, de ne pas avoir connu d’enfance insouciante et de découvrir ce qui est inhérent à l’enfant maintenant. Ça me met très mal. Plus je vous entends et plus je sens la colère, parce que les choses ne sont pas arrivées au moment où il le fallait.

La colère, c’est ce qu’il y a de plus haut en vous, c’est ce qu’il y a d’essentiel. C’est maintenant. Si vous l’écoutez, si vous la sentez, c’est là que vous êtes libre. C’est pas de revenir à l’enfance ; ça c’est un concept. L’enfance c’est maintenant. C’est maintenant, quand vous laissez votre histoire d’avoir eu une enfance. C’est maintenant. Mais si vous essayez d’écarter cette colère, parce que ça vous empêche de quelque chose, ça c’est un ajournement. Sentez ce que vous sentez maintenant. C’est à vous, c’est ce qu’il y a de plus précieux en vous. Comment vous le savez ? Vous le sentez maintenant. Il n’y a rien d’autre. Laissez cela totalement vous remplir. C’est ça la tranquillité. Vous ne pouvez pas vous libérer demain, vous ne pouvez pas vous libérer dans une seconde ; c’est maintenant. Vous n’avez rien à faire. Ne faites rien : vous ressentez. Il n’y a rien d’autre. C’est ça l’enfance : ne la cherchez pas dans le passé, ça c’est une histoire.

Sentir, ça veut dire aimer, ça veut dire : dire oui. Personne peut le dire ; on ne peut dire que non. Quand vous aimez, quand vous vous aimez, vous aimez tout. Là il ne peut pas y avoir de colère. La colère c’est une vieille histoire, qui veut faire croire qu’il y a eu quelque chose de faux dans votre vie. Et la bonne nouvelle c’est qu’il n’y a jamais rien eu de faux dans votre vie. Votre vie était parfaite. Ce qui s’est passé quand vous étiez jeune, c’était parfait. Car tout est parfait, quand il n’y a pas d’histoire : que les choses devraient être autrement, que Dieu a fait une petite erreur dans votre vie et qu’il vous faut essayer de la corriger, de vous en libérer. Non. Tout ce qui vous est arrivé, c’est ce qui vous amène à être complètement libre dans l’instant. Il n’y a rien à rectifier ; il ne peut plus y avoir de culpabilité, de remords. Tout était parfaitement juste, sauf dans votre histoire que la vie devrait être ceci ou cela. Pas d’histoire. Il s’agit d’être complètement là, il n’y a rien d’autre.

Ne vous racontez pas non plus d’histoire que vous avez commencé à ressentir une tranquillité quand j’ai commencé à parler. C’est votre histoire : vous avez ressenti une tranquillité parce que vous avez écouté. Vous vous êtes écouté vous-même ; c’est votre tranquillité que vous avez sentie, il n’y en a pas d’autre. Votre tranquillité n’est pas à l’extérieur, c’est la vôtre. Elle ne vient de rien. Alors, c’est une histoire. C’est votre tranquillité. Il n’y a pas de situation qui amène la tranquillité.

Quand je vous écoute, il y a une part de moi qui a envie de jouer. Ce qui me vient, c’est : à quoi bon écouter, à quoi bon essayer d’être libre, à quoi bon…

Exactement !

La suite, c’est que de toute façon je vais mourir. Je me sens derrière ça. De toute façon, à quoi ça sert ?

Ça vous le pensez, vous ne le sentez pas. Vous ne pouvez pas sentir la mort. La mort c’est une pensée. Quand vous dites  » je sens que c’est inutile de faire quoi que ce soit « , vous pouvez le sentir. Ça c’est votre nature profonde : être sans dynamisme. Vous pouvez sentir que c’est inutile de venir ici, parce que c’est votre nature profonde d’aller nulle part. Mais vous ne pouvez pas sentir qu’il y a la mort devant vous. C’est un concept, c’est une histoire. Vous l’avez acheté ce concept, avec celui d’être né, avec celui de votre nom. Vous le fabriquez à chaque instant. Et ça doit être comme ça, c’est parfait comme ça. C’est parce que vous le fabriquez à chaque instant que vous pressentez la tranquillité. Vous n’avez pas à vous libérer de cela pour être tranquille. Il faut laisser cela aux grands yogis.

Être un enfant, ça veut dire ne pas avoir la prétention d’être quoi que ce soit. Vous sentez en vous l’image de la mort – ça ne peut être qu’une image, on ne peut pas pressentir sa mort – et c’est votre porte sur la tranquillité. Laissez venir ça, vous allez voir ce qui se passe en vous. Ça devient un ressenti : la mort, elle est dans la gorge, dans la poitrine, dans le ventre. Vous l’accueillez et vous allez voir que ça ne peut pas se maintenir. C’est fatigant de penser. Mais quand vous accueillez quelque chose, il ne reste que l’essentiel : c’est l’accueil. Ce que vous accueillez n’a pas d’importance. C’est pour ça qu’en Inde, l’ishta devata peut être Ganesh ou Kali ; ce n’est pas important. C’est la célébration qui est importante, ce qu’on célèbre c’est un prétexte. C’est l’accueil qui compte. Ce qu’on accueille, c’est une décoration. Vous avez la chance d’accueillir le concept de la mort : c’est votre ishta devata, votre objet de méditation. Pas votre objet de concentration, pas de vouloir comprendre, de vouloir ramener à votre niveau l’immensité : ça c’est l’orgueil et il faut laisser cela aux yogis.

Il n’y a rien à comprendre dans l’essentiel. Vous écoutez, Il n’y a personne qui écoute, il n’y a rien qui est écouté ; il y a écoute. C’est ça la méditation. Le moment où vous voulez chasser cette pensée de la mort, c’est ça l’agitation. Ce qui se présente, c’est exactement ce qui est nécessaire. Comment vous le savez ? Parce que c’est là ! Et parce qu’il n’y a pas eu d’erreur dans la création divine, d’erreur que vous devez rectifier. Ce qui se présente c’est votre cadeau. Alors, vous dites oui. Pas conceptuellement, mais profondément, en ce sens que vous êtes ce oui. C’est votre nature et là il n’y a pas d’histoire. Vous n’avez rien à faire pour ça, sauf voir qu’on est constamment en train de… Si vous faisiez plus de méditation, si vous étudiez les Karikas de Gaudapada, si vous mangiez plus de graines germées… : chacun a ses fantaisies. Mais c’est toujours demain et ça ne marche pas. Ça peut changer la coloration : vous pouvez avoir moins peur des chats, mais la peur est toujours là. Car être quoi que ce soit, c’est avoir peur.

Il y a quelques temps, j’ai pris conscience que j’aspirais vraiment à passer ma vie à rire et à m’amuser, à traverser l’existence dans la légèreté. N’y a-t-il pas l’envie de la distraction derrière ça ? Je ne sais pas si cette envie-là c’est ce dont vous parlez.

Si demain vous apprenez que vous avez un cancer terminal, ainsi que vos proches, qu’est-ce qui se passe dans cette envie de légèreté ?

Elle devient plus forte. Ça devient grave en dedans. C’est les deux. Parce que je dois vous dire que vous parlez de légèreté et je vous trouve d’une gravité terrible. (Rires). Je vous dis qu’il y a quelque chose que j’ai envie de saisir dans ce que vous dites. Je me dis qu’il doit y avoir une coexistence entre gravité et légèreté.

La gravité c’est une impression. Quand vous allez à un concert, parfois les musiciens semblent graves, mais ils ne sont pas comme ça. Quand vous allez voir des compétitions d’art martiaux, celui qui donne le coup de pied ou le coup de coude peut parfois pousser un cri, faire une grimace, mais il n’est pas comme ça. Le corps s’exprime de différentes manières. À un moment donné, vous n’avez plus d’histoire sur ces codifications. Il y a de multiples manières de sourire. Il y a de multiples manières de pleurer. Si votre légèreté devient grave, dans quelque situation que ce soit, c’est qu’elle n’est pas sérieuse. C’était une légèreté psychologique. La légèreté, si on veut employer ce mot, c’est ce pressentiment que ce qui se présente dans l’instant est tout ce qui peut à jamais y avoir. C’est un ressenti non conceptuel. Il ne pourra jamais y avoir autre chose et il n’y a jamais eu autre chose. Mais si l’événement vous rend grave, c’est que cette légèreté est psychologique, donc qui dépend des circonstances, que vous allez pouvoir développer par le yoga ou d’autres techniques – en devenant soufi – mais qui dépend d’une activité.

Un jour, vous allez voir profondément que tout ce que vous devez faire, ça va vous fatiguer. Vous allez être trop fatiguée pour faire quoi que ce soit, y compris pour être légère, y compris pour être triste. Vous allez voir que tout ça c’est une activité qui vient uniquement quand vous prétendez avoir une histoire, avoir un passé et avoir un futur. On peut voir tout ça comme étant un concept. C’est une maturation qui ne dépend pas d’un quelconque faire et qui ne dépend pas du temps. Alors le mot maturation est faux. Évitez de vouloir le comprendre, parce qu’on ne peut le comprendre que dans le temps et c’est faux ; la maturation est dans l’instant. Vous êtes condamnée à cette maturation. Le seul ajournement possible, c’est d’essayer d’être mûr, par la pensée, par l’action ou par l’émotion. Ça c’est un sac sans fond. Vous allez être plus sage tous les jours, plus libre tous les jours : c’est une misère constante. Vous ajournez constamment l’essentiel.

À un moment donné, vous ne cherchez plus à être moins ceci et plus cela, à être sans peur, à être sans désir : vous ne cherchez rien. On peut appeler cela une forme de respect, un respect pour la réalité, pour ce qui est là dans l’instant. C’est le respect pour l’essentiel. L’essentiel ce n’est pas quelque chose qui est caché derrière l’apparence – ça ce sont de belles histoires indiennes – l’essentiel c’est ce qui est là, c’est ce que vous sentez dans l’instant. Il n’y a rien d’autre que ça. Là il n’y a rien à comprendre, il n’y a tout simplement rien. C’est ça qui se reflète comme légèreté qui apparemment surgit quand les situations conviennent à votre idéologie et qui apparemment s’élimine quand les situations ne correspondent pas à votre plan pour l’humanité. À un moment donné, vous arrêtez de vous prendre pour Dieu et de vouloir régler les problèmes de l’humanité – ou le vôtre, parce que c’est le même. C’est une histoire dans les deux cas.

Pratiquement, vous pouvez vous offrir des moments dans la journée, à un feu rouge, pour quelques instants – ce n’est pas un problème de temps, il n’y a pas de temps là – où vous arrêtez de prétendre d’être une femme, un homme, un chien, un dromadaire, d’avoir des parents, des enfants, un travail, une intelligence, une compréhension et vous vous donnez à ce qui est là. Ça peut être un genou, un vacarme, une odeur, ce qui est là dans l’instant, sans rien vouloir en tirer. Ça c’est l’essentiel, c’est la beauté. Je dirais que cette disponibilité va s’étaler dans votre vie, jusqu’au moment où vous voulez ce qui est là, parce que ce qui est là, c’est ce qui doit être là. C’est vous-même, il n’y a rien d’autre. Que ce soit soi-disant vous, soi-disant les autres, ce n’est que vous même. C’est la totalité. Là, la légèreté est véritable ; mais elle ne peut pas être grave. L’expression de cette légèreté peut être terrifiante si nécessaire. Mais c’est une légèreté. Quand le chat crève la gorge de la souris, c’est la même légèreté, si on le regarde sans histoire. Mais si vous avez une histoire, alors, selon que vous preniez pour le chat ou pour la souris, c’est une chose dramatique ou merveilleuse. Mais ce n’est absolument rien, si on n’a pas une idéologie à savoir comment le monde doit être, si on n’a pas la vanité de vouloir améliorer la création.

Ça n’empêche pas de bouger ! Parfois vous allez assister avec émerveillement au spectacle du chat qui torture la souris, parfois vous allez donner un petit coup sur le nez du chat. L’un n’est pas mieux que l’autre. Vous ne décidez pas : ce n’est pas un méchant chat, ce n’est pas une gentille souris. La souris, si quelqu’un ne lui crève pas la gorge, va manger quelqu’un d’autre. La nature de la vie c’est l’action. Le corps bouge, le corps contemple, le corps tape sur un museau de chat : c’est la même chose. Vous n’avez pas d’histoire que vous savez mieux que Dieu ce qui doit être. Comment vous savez que vous devez taper sur le nez du chat ? Vous tapez sur le nez du chat. Comment vous savez que vous devez assister à la mise à mort de la souris ? Vous assistez à la mise à mort. Il n’y a pas de mieux ou de moins bien, sauf si on vit de manière idéologique. Dans ce cas, dix ans après, vous allez encore penser à cette pauvre souris massacrée par le chat. Tout ce qui est moins qu’une liberté, c’est une prétention, c’est fatigant. Tout ce qui dépend de quelque chose, c’est une prétention. Il n’y a pas de cause à effet, sauf dans notre histoire. Il n’y a rien à penser là-dedans, la pensée ne peut pas comprendre. Vous l’écoutez, vous l’oubliez. Il va rester une légèreté.

Vous n’avez pas de place dans la liberté. Il faut vraiment le comprendre : on ne peut pas devenir libre. Il faut laisser ça à l’Inde traditionnelle. L’Inde est un pays de symboles, d’analogies. Ce qui est formulé en Inde dans les textes, dans l’Islam ou ailleurs, ce sont des portes : ça parle de ce qui est derrière la porte. On ne peut pas parler de ce qui est derrière la porte, alors on crée des goûts, des sons, des proportions qui pointent vers ça : un temple, une proportion musicale, un mouvement de danse. Ça pointe vers ce qu’on ne peut pas penser, comprendre, ressentir. Vouloir être libre, c’est la prison. La liberté n’a pas de place pour quelqu’un de libre. On ne peut pas devenir libre : c’est très important, sur un certain plan, de comprendre cela. Sinon, il y a toujours une tension, toujours un dynamisme vers la liberté, toujours une insatisfaction. C’est une forme d’affront à la divinité de penser qu’il y a une quelconque autonomie.

-Éric Baret (http://www.bhairava.ws/)

Source : http://www.psy-spi.com/bouchard%2Bbarret.htm#Jodo_suite

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