UG – Le dos au mur

RIEN À FAIRE

Question : U.G., est-ce qu’on peut dire que vous vivez dans un état sans conflit?
U.G. : Je ne suis pas en conflit disons au moins avec la société. Le monde, tel qu’il est actuellement, est ma seule réalité. La réalité ultime que l’homme a inventée n’a absolument rien à voir avec la réalité de ce monde. Vous cherchez de tous les côtés et dans tous les sens à comprendre cette réalité, que vous qualifiez d' »ultime » -mais ne vous gênez pas, donnez- lui tous les noms que vous voudrez; c’est cette recherche effrénée tous azimuts qui vous empêche de voir et d’accepter la réalité de ce monde tel qu’il est. Tous vos efforts pour fuir le monde tel qu’il est rendent im­possible l’harmonie véritable avec les choses qui vous touchent directe­ment.
Nous nous faisons une idée de cette harmonie. Comment vivre en ayant la paix intérieure -voilà l’idée que nous créons, mais ce n’est qu’une idée. La paix est déjà là, elle est extraordinaire. Mais vous ne pouvez jouir de cette paix intérieure parce que vous vous êtes fait une idée de ce que vous appelez « paix intérieure » qui n’a absolument rien à voir avec le fonctionnement harmonieux de ce corps. Débarrassez-vous de ce fardeau, n’essayez pas d’atteindre cette réalité, d’en faire l’expérience, de la vivre; vous verrez alors qu’il est impossible de faire l’expérience de quoi que ce soit, mais au moins vous ne vivrez pas dans l’illusion. Alors, vous accepterez qu’il n’y a rien, absolument rien, que vous puissiez faire pour avoir une expérience de quoi que ce soit -en-dehors de la réalité que nous impose la société.
U.G. annonce ici un de ses thèmes essentiels : la différence entre la chose et l’idée de la chose. Dans ce cas, la chose c’est la paix intérieure : elle est déjà là, le corps vit déjà sa paix, comme tout dans le reste de la nature, sauf crises épisodiques, intermittentes, et en général de courte durée; ces crises sont des réajustements de l’équilibre naturel, comme un tremblement de terre dans l’écorce terrestre, ou une maladie chez l’homme. Mais comme l’homme pense, il va se faire une idée de paix intérieure, et il va vouloir réaliser cette paix -qu’il vit déjà! Contradiction fatale, piège diabolique tendu par l’illusion d’être, elle-même causée par la pensée! Mentionnons ici plusieurs thèmes, qui seront repris tout au long de ces entretiens
I. L’idée d’une chose n’est pas la chose elle-même. Nous ne connaissons que l’idée d’une chose, pas la chose elle-même. Toute conscience de quelque chose -conscience du monde et conscience de moi-même- implique connaissance d’une idée, et donc coupure radicale avec la « réalité » (qui en fait n’est qu’un autre concept que nous formons). Connaître et vivre s’excluent mutuellement: si l’on connaît (si l’on est conscient) on ne vit pas, et si l’on est plongé dans la vie, on ne peut pas en être conscient, s’en former un concept en même temps.
2.La pensée en acte va former des concepts et des idéaux de la vie et de la réalité -des valeurs. Une fois qu’elle les a, elle va vouloir les réaliser, les imposer par force à la réalité. Il lui est impossible de voir que la réalité n’en a que faire -la pensée, et nous avec, ne connaît que le concept, pas la chose.
3.Un de ces concepts est le moi, le sens du sujet individuel. Comme on veut réaliser la paix intérieure, on veut se réaliser soi-même. Comment? En réalisant la paix intérieure, ou en luttant pour une idéologie qui va sauver le monde, ou en oeuvrant pour la vraie foi, ou en passant de sous- chef de bureau à chef de bureau, ou en voulant être heureux.
4. Tous ces concepts viennent de la société, de l’héritage culturel hérité depuis des temps immémoriaux. Au niveau de notre auto-conscience individuelle, nous sommes cet héritage].
Nous n’avons d’autre choix que d’accepter ce moule que la société nous impose, parce qu’il est vital de fonctionner dans ce monde d’une manière saine et intelligente. Si nous n’acceptons pas cette réalité imposée par la société, c’en est fini de nous, on termine au cabanon. Il faut donc accepter cette réalité telle qu’elle nous est imposée par la culture, la société, appelez-la comme vous voudrez; mais en même temps il faut se rendre compte qu’on ne peut rien faire pour avoir l’expérience de la réalité [au lieu de son concept]. Acceptez tout cela et vous ne serez plus en conflit avec la société, et le désir d’être quelque chose d’autre que ce que vous êtes actuellement prendra fin aussi.
Ce but que vous vous êtes fixé, cet idéal qu’il vous faut réaliser, ce besoin d’être quelque chose d’autre, tout cela disparaît. Le problème n’est pas d’accepter quelque chose d’autre, d’autres valeurs ou d’autres croyances. Simplement, la quête n’est plus. Ces objectifs que la société et la culture ont placés devant nous, et que nous avions considérés comme désirables, ne sont plus. Ce besoin d’atteindre cet objectif, lui aussi n’est plus. Alors, vous êtes ce que vous êtes, sans plus.
Quand vous ne cherchez plus à devenir autre chose que ce que vous êtes, le conflit intérieur n’est plus. Si intérieurement vous n’êtes plus en conflit, il vous devient impossible de l’être avec la société. Tant que vous n’êtes pas intérieurement en paix, vous ne pouvez l’être avec autrui. Bien sûr, on peut être soi-même en paix, sans que son voisin le soit. Mais, voyez-vous, cela ne vous concernera pas. Voilà la situation : quand vous êtes sans conflit intérieur, vous devenez une menace pour la société actuelle. Vous devenez une menace pour vos voisins, parce qu’ils ont accepté le monde monde qu’ils connaissent et qu’ils conçoivent] comme étant la réalité -et aussi ils ont en tête un objectif bizarre qu’ils appellent « la paix ». Vous devenez une menace pour leur existence telle qu’ils la conçoivent et telle qu’ils en font l’expérience. Alors vous êtes complètement seul -pas la solitude que les gens redoutent- simplement vous êtes seul.
On croit s’intéresser à la réalité ultime, à l’enseignement des gurus et des saints, aux innombrables techniques qui doivent éveiller en vous cette énergie que vous recherchez. [Mais cela ne vous mènera nulle part. C’est seulement] quand le mouvement de la pensée cesse que cette énergie, qui est déjà là, est libérée. renseignement du saint n’y fait rien, toutes les techniques imaginables non plus. Simplement le conflit [engendré par la pensée] n’est plus. Vous ne pouvez pas comprendre.
Le mouvement là [il désigne son interlocuteur] et le mouvement ici [il se désigne] sont une seule et même chose. Pas de différence entre cette machine humaine et tout autre machine. Elles existent ensemble. C’est la même énergie qui s’exprime là-bas et ici. En fait toute énergie que vous ressentez en pratiquant toutes ces techniques est une énergie de friction, de conflit. Cette énergie-là est créée par la friction de la pensée – le besoin de faire l’expérience de cette énergie est la cause directe de l’énergie que vous ressentez. Mais on ne peut absolument pas faire l’expérience de cette énergie-ci [cette énergie indifférenciée dont je parle]. Elle est simplement une expression, une manifestation de la vie. Vous n’avez rien à faire pour ça.

Source : http://fr.sages.wikia.com/

 


Comments are closed.