~ Isa ~ L’ennui, voie d’accès à la Plénitude ?

« Un partage sur le thème de l’ennui, dans une approche unifiante.

J’ aime beaucoup site Web de cette femme qui fait également dans la vidéo, c’est très bon. En plus de nous présenter les vertus de l’ennui (mot tabou de notre société de vitesse), elle  nous explique pourquoi elle n’est pas au centre de l’ écran. » Gougou

Éloge de l’ennui

L’ennui est un terme péjoratif qui a remplacé celui d’oisiveté, qui était sujet à des interprétations contraires : pour les uns il y avait la joie dans l’oisiveté, et pour les autres c’était cette joie qu’il fallait combattre. Que des gens s’ennuient était déjà un affront fait aux classes laborieuses, alors qu’en plus ils en éprouvent du plaisir, voilà qui avait de quoi énerver.

Aujourd’hui, le terme d’oisiveté n’est plus employé, et a été définitivement remplacé par celui de l’ennui. il est défini comme une sorte de trouble, de vide, de manque, mais aussi comme une charge pesante et oppressante, un symptôme d’une maladie nommée dépression. En bref, l’ennui est un mal absolu qu’il faut éviter à tout prix.

Pourtant, il faudrait rendre à l’ennui les honneurs qui lui sont dus, car il est de mon point de vue tout à fait mal traité, et à tord.Car enfin l’ennui a bien des avantages, et sa définition négative (et sans doute pas innocente) ne lui rend pas justice.

Tout d’abord, il faut dire que l’ennui c’est la possibilité de réflexion, autrement dit de retour sur soi. Sans ennui il n’y a ni avancée spirituelle, ni même intellectuelle. L’ennui est le seul moment où l’homme s’arrête et laisse voguer ses pensées, sur lui même ou sur les autres, sans d’autre but apparent que de ne rien faire. Mais ne se passe-t-il donc rien lorsqu’on s’ennuie ?
Il apparaît, selon certaines études récentes, que le cerveau d’une personne qui s’ennuie fonctionne aussi intensément (voire plus) à l’état d’ennui qu’à l’état actif. Si cela peut surprendre au premier abord, il y a cependant une explication : les connections mobilisées par les vagues successives de pensées qui s’entrechoquent dans l’esprit de l’ennuyé ne sont pas focalisées par un objet précis (une tâche à effectuer) mais par de multiples sources.

Ensuite, il semble difficile d’expliquer le génie sans l’ennui. Laisser voguer ses pensées au hasard, c’est la possibilité de faire de nouvelles connections, de rêver au futur ou de se souvenir du passé, c’est penser sans ordre contraint, et la possibilité de penser autrement. C’est aussi imaginer, créer, se poser des questions, et chercher des réponses. s’ennuyer c’est penser, inévitablement. Pas moyen de faire cesser ces connections, ces images, ces vues de l’esprit de notre cerveau. L’allégorie de Newton recevant une pomme sur la tête le décrit s’ennuyant sous un arbre, activité qui semble à bannir dans notre moderne société.

S’ennuyer est considéré comme une activité improductive, une perte de temps. Le temps, c’est de l’argent. ceux qui s’ennuient sont des fainéants. On comprend bien l’intérêt de cette idée reçue sur l’ennui lorsque l’on aborde la face politique de cette définition. Le chômage coûte à l’Etat sans lui rapporter. Pour ne pas laisser les chômeurs dans l’ennui, et surtout ne pas inciter les autres à souhaiter cet ennui rémunéré, il fallait aux Etats installer l’idée selon laquelle l’ennui est un mal à éviter. De plus, que la société ait un regard négatif sur les chômeurs était essentiel à la bonne marche de la société.

Mais ce n’est pas tout : face à une crise de l’emploi comme celle que nous traversons, les chômeurs sont de plus en plus nombreux, et de moins en moins stigmatisés par la société. Le but des gouvernements est d’éviter à tout prix l’ennui pour ces chômeurs, car ils pourraient finir par se mettre à réfléchir, à penser, à imaginer ou à rêver… et ainsi en capacité de remettre en cause le système qui les a conduit là où ils se trouvent. Il n’est que de constater la complexification des démarches administratives, les contraintes imposées, la formation et les rendez-vous obligatoires pour comprendre que le gouvernement ne veut pas d’ennui. sans compter l’ennui à l’école, qui y est traité comme une déviance et non pas comme l’expression d’une recherche d’intérêt.

Les loisirs gratuits, l’école obligatoire, et maintenant « l’offre raisonnable d’emploi », les internats ou le service civil vont désormais pouvoir occuper tout le monde. Le peuple ne doit pas s’ennuyer, car il ne doit pas être en mesure de réfléchir. Réfléchir au fait que, par exemple, le progrès censé nous apporter le bonheur matériel et nous libérer du travail pénible nous a conduit à une retraite toujours plus courte, et à des cadences de travail toujours plus assommantes. C’est pour ça que l’éducation, comme la socialisation dans son ensemble, tentent de bannir l’ennui de ce monde.

Et puis l’ennui est aussi associé à la dépression, sans qu’on sache trop comment : s’ennuie-t-on parce qu’on est dépressif, ou bien est-on dépressif parce qu’on s’ennuie ?

Sans avoir à répondre à cette question, la dépression est pour moi l’absence d’ennui, car seul le retour sur soi est capable de régler cette question. Bien sûr certains argumenteront sur le fait qu’au travail ils vont bien, et c’est lorsqu’ils rentrent chez eux, laissés seuls à leurs pensées, que la dépression se fait sentir. Mais ce n’est pas parce qu’ils s’ennuient, mais plutôt que leur cerveau reste bloqué sur une boucle de pensée tournant sans cesse autour de la pensée qu’ils ne vont pas bien. Ils ne s’ennuient pas, ils se focalisent à une tâche mentale sans fin, épuisante et insoluble. Que ne se posent-ils pas la question du « que faire » plutôt que du « pourquoi » ? ils cesseraient immédiatement leurs pensées nocives, et libéreraient ainsi leur esprit par un ennui plus motivant…

Finalement, la dépression pourrait être vue plus comme une absence qu’un « trop plein » d’ennui. Et l’ennui devrait être recherché comme un suprême bien, car lui seul permet d’imaginer un monde meilleur.
Voilà pourquoi les puissants ne le désirent pas, et aussi pourquoi ils modifient le sens des mots : « le novlangue était destiné, non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but » (Orwell)

Par Isabelle Padovani : www.communification.eu
http://www.agoravox.fr

Comments are closed.